Adeline Richez
Designer et graphiste
"En tant que conceptrice, je me dois de concevoir pour tout le monde."
Adeline Richez est designer et graphiste, fondatrice de l'agence de design "Adéquat" spécialisée dans l'universalité.
Son Parcours :
Adeline s'est formée au design produit à l'école Olivier de Serres de 2003 à 2007. À cette époque, elle se démarque en choisissant ce domaine alors que la majorité des étudiants optent pour des voies liées à l’esthétisme ou au luxe. Pour elle, l'intérêt du design réside dans la question des usages et la conception d'objets pour le quotidien des utilisateurs. Son positionnement est singulier car elle n'avait pas de modèle de designer engagé autour d'elle, et à l'époque, le design social et écologique était pratiquement inexistant en France.
Elle a, par la suite, affirmé son positionnement à travers son projet de diplôme, qui consistait à travailler sur la bagagerie des professionnels de terrain de la Croix-Rouge. Adeline a cherché à comprendre au mieux les besoins spécifiques de ce public en réalisant des interviews. Elle a ainsi imaginé des bagages tout-terrain, solides et conçus pour être prêts à tout moment. En effet, les travailleurs de la Croix-Rouge sont souvent appelés en urgence et ont peu de temps pour préparer leur départ vers des destinations lointaines, dans des contextes de catastrophes, climatiques ou humanitaires.
Poussée par une envie d'aventure et d'ouverture, Adeline a débuté sa carrière professionnelle en tant que graphiste au Bénin. À son retour en France, elle a travaillé quelques années dans des agences de communication.
En 2012, elle intègre un cabinet de conseil en accessibilité pour créer un pôle de signalétique d'information. Ce nouveau projet a particulièrement enthousiasmé la designer, car il lui a permis de renouer avec son intérêt pour la question des usages. À cette époque en France, la plupart des conceptions ne prenaient pas en compte les besoins des publics différents, quelle que soit la nature de la différence : culturelle, physique, sensorielle ou intellectuelle.
"En tant que conceptrice, je me dois de concevoir pour tout le monde."
Ensemble, ils ont développé une approche globale, en travaillant sur l'inclusion, l'usage et la concertation. C'est à partir de ce moment-là qu'Adeline a systématisé les tests utilisateurs, en particulier avec des usagers ayant des besoins spécifiques. Après deux ans de collaboration, Adeline a relevé le défi de l'entrepreneuriat en se mettant à son compte et en créant l'agence "Adéquat" !
Sa pratique
Le positionnement d'Adeline concernant l'accessibilité a toujours été de tendre vers l'universalité. Son objectif est de concevoir pour tous, en tant que designer, en évitant autant que possible l'exclusion. Elle souligne qu'atteindre une accessibilité à 100 % est impossible, car il y aura toujours des personnes polyhandicapées pour lesquelles des solutions spécifiques seront nécessaires. Cependant, dès le début, il est essentiel de s'orienter vers des productions les plus accessibles possible. Adeline rappelle que la moitié de la population française peut être concernée par le handicap, de manière permanente ou temporaire (par exemple, en cas de blessure, de vieillissement ou de handicap moteur, sensoriel ou mental). Elle a dû lutter contre l'idée reçue selon laquelle l'accessibilité ne concerne que les personnes en fauteuil roulant.
"J'ai toujours eu une vision du handicap très large. Par exemple, en tant que parent avec une poussette, un bagage et un enfant à la main, je me trouve temporairement dans une situation handicapante pour prendre le métro. Le handicap peut survenir rapidement, nous y sommes tous confrontés, de manière plus ou moins grave, de façon temporaire ou permanente. Considérer le handicap de cette manière nous fait réaliser que cela concerne tout le monde. La conception universelle part du postulat qu'il faut concevoir pour tout le monde !"
En tant que designer et graphiste, Adeline a mené de nombreux projets dans des domaines variés et pour des publics différents. Cependant, au fil des projets, elle a développé une expertise rare dans la conception visuelle et rédactionnelle destinée aux publics ayant une déficience intellectuelle.
Même si son expertise en matière d'accessibilité s'est affinée, elle reste vigilante à ne pas systématiser ses propositions.
"C'est une erreur de croire qu'on a compris quels besoins sont associés à quelles cibles. Il est important de soumettre nos idées à l'examen des utilisateurs."
Adeline s'épanouit en tant que designer et chef d'entreprise, car elle y trouve un sens, mais aussi de nouveaux défis quotidiens. En effet, elle travaille avec de nouveaux publics, dans des contextes variés et capitalise sur les évolutions techniques et technologiques pour ouvrir de nouveaux champs des possibles !
L'agence Adéquat :
Depuis sa création en 2013, l'agence Adéquat s'est focalisée sur l'accès à l'information à travers des projets de signalétique, mais travaille aussi autour des domaines du numérique et de l'impression. À cette époque, les réflexions sur l'accessibilité étaient rares. Les structures publiques étaient souvent motivées uniquement par la nécessité de se conformer à la loi de 2005. Le premier défi d'Adéquat a été de convaincre les acteurs de l'importance de l'accessibilité en démontrant que rendre un service accessible n'avait pas seulement un impact sur les personnes handicapées, mais rendait également l'expérience plus confortable pour tous.
Cette période de sensibilisation des acteurs sur les bienfaits d'une démarche d'accessibilité est désormais derrière elle. En effet Les clients ont de plus en plus des réflexions avancées, une volonté d'agir et les fonds nécessaires, ce qui crée un cadre idéal pour les accompagner. Mais il a fallu près d'une décennie pour inverser la tendance.
Afin d'amplifier cette dynamique, Adéquat n'hésite pas à sensibiliser et à former ses clients, pour les autonomiser et systématiser la création de supports accessibles à tous. Parallèlement, Adeline intervient ponctuellement dans des cursus universitaires, comme à la Fac de médecine de Paris-Saclay ainsi que lors d'ateliers dans des écoles de design.
"À titre personnel, je transmets mes connaissances pour favoriser une société plus inclusive."
Les sujets et les compétences ont évolué depuis 2013, et aujourd'hui, l'agence a fusionné avec l'entreprise Divercities, spécialisée en accessibilité réglementaire (voiries, bâtiments, transports) pour créer l’agence Atipy. Cette fusion permet une approche à 360 degrés sur tous les sujets. Leur domaine d'expertise s'étend désormais au-delà de l'accessibilité. De nouveaux sujets ont émergé ces dernières années, tels que la question du genre. De nouveaux défis se dessinent, tournés vers une conception "inclusive" en abordant des sujets liés au genre, à l'origine ethnique, culturelle, religieuse, etc.
L’agence Atipy incarne ces valeurs en expérimentant des initiatives visant à améliorer la qualité de vie au travail. Par exemple, l'entreprise a mis en place le télétravail à 100 % pour les collaborateurs qui le souhaitent, et elle teste actuellement le congé menstruel. Son modèle de gestion est plus transversal que pyramidal, capitalisant sur la confiance partagée.
Les projets :
Voici deux exemples de projets réalisés par Adeline.
1. Le livre de cuisine "La cuisine pour tous" :
Il s'agit d'un projet bénévole réalisé en collaboration avec l'association Papillons Blancs de Paris et Les Zigs. L'objectif était de créer un livre de cuisine entièrement illustré et accessible à tous. Le livre a été co-conçu avec des personnes ayant une déficience intellectuelle pendant une période de 2 ans, avec de nombreuses séances de relecture et de tests. Adeline a conçu chaque illustration avec une attention minutieuse pour assurer la compréhension optimale des étapes des recettes.
"L'impact et la lisibilité dépendent des images et de leur agencement. J'ai dessiné chaque pictogramme sur mesure, spécifiquement pour chaque étape. Parfois, j'ai ajusté de quelques degrés l'orientation de la main... Cela prend beaucoup de temps, mais vous ne choisissez pas une image par défaut. Vous la concevez en fonction de ce qui vous semble être le plus compréhensible, et cela fait toute la différence."
Aujourd'hui, ce projet est une réussite remarquable pour Adeline. Le livre a été largement acheté et a permis à de nombreuses personnes qui étaient auparavant incapables de suivre une recette de devenir autonomes dans leur cuisine. Les retours des utilisateurs, comme par exemple les remerciements d’un parent qui voit pour la première fois son fils en résidence être capable de se faire à manger, sont très motivants pour la designer. Cela lui permet de voir concrètement la valeur ajoutée de son métier.
2. Mission pour les CASVP (Centre d’Action sociale de la ville de Paris) :
Le CASVP a entrepris depuis 2015 une grande révision de sa signalétique. Le défi pour l'agence a été de repenser une signalétique 100 % accessible pour l'ensemble du réseau, soit environ 200 bâtiments proposant des services variés tels que des clubs seniors, des restaurants, des centres d'hébergement d'urgence, etc. Le projet a été mené en concertation, avec des ateliers organisés en collaboration avec les résidents en EHPAD pour travailler sur la conception graphique. Le résultat est une signalétique avec une typographie et des pictogrammes très lisibles, un bon contraste et une approche multisensorielle (balises sonores, éléments tactiles sur les rampes, etc.). Ce projet représente un engagement politique fort de la part de la ville de Paris, qui a pleinement saisi l'importance de l'accessibilité dans ses établissements. Aujourd'hui, ce projet est devenu une référence pour l'agence en termes d'orientation et d'accessibilité à grande échelle.
Le conseil d'Adeline :
Les nouvelles générations de designers sont de plus en plus sensibilisées aux questions d'accessibilité, mais la conception universelle reste encore marginale et peu enseignée. Adeline partage donc ses conseils pour tous les designers souhaitant tendre vers des conceptions plus accessibles :
Le conseil principal est de se confronter aux utilisateurs, en impliquant un large éventail de personnes ayant des besoins spécifiques tels que des déficiences intellectuelles, des handicaps moteurs, etc. Il est également conseillé de faire tester les projets auprès d'enfants non lecteurs, car cela offre de bons indicateurs pour évaluer la compréhension des images. La designer insiste sur l'importance de soumettre les projets aux usagers, malgré le temps nécessaire et les remises en question que cela peut entraîner.
"Le conseil premier, c'est de questionner les utilisateurs. Vous pouvez imaginer ce que vous voulez, mais si vous ne faites jamais tester votre projet, vous ne serez pas inclusif."
Pour en savoir plus :
https://agence-adequat.fr/
https://www.atipy.fr/