Johanna Grégoire
Designer et artiste
« Ma pratique se résume en 3 axes :l’expérimentation, la valorisation d’un savoir-faire et la collaboration. »
Son parcours :
Poussée par un intérêt prononcé pour le dessin, Johanna commence son parcours par l’École des Beaux-Arts d'Angers. Ses années d’études supérieures fondent les bases de sa pratique et lui permettent de questionner ce qu’elle souhaite transmettre par sa pratique, et de travailler instinctivement sur des questions d'identité.
« J’ai grandi à Courbevoie dans le 92, j’ai souvent été l’une des seules personnes de couleur, j’ai souvent eu des questions par rapport à ça. Mais en rentrant aux Beaux-Arts, j’ai compris que je pouvais intégrer ces questions dans ma pratique. »
Elle développe sa pratique du design dans un second temps en intégrant l'École des Arts Décoratifs de Paris. À l’École des Arts Décoratifs, elle rejoint le pôle de recherche EnsadLab pour deux ans. Elle mène une recherche-action qui lui fait découvrir comment le design peut être un outil d’action sociale et urbaine. L’enjeu de ces deux années est de questionner le design dans les milieux de précarité. Ancrée sur le terrain, elle travaille principalement sur les moyens de communication au sein des camps de réfugiés de Calais. Ses recherches aboutissent à un projet éditorial permettant aux migrants de s’échanger des informations entre les différents camps et de donner des nouvelles à leurs familles.
« À ce moment-là, je me suis vraiment intéressée au design de nécessité. »
Pendant ses années à EnsadLab, Johanna travaille main dans la main avec le collectif d’architectes et de designers Ya+K. Leur collaboration se matérialise sous la forme d’un ouvrage : “Manuel illustré de bricolage urbain : Outils, ressources pratiques et projets à faire soi-même pour rendre la ville plus conviviale et partagée.”
C’est à ce moment-là que Johanna s’oriente vers un design social. Lorsqu’elle arrive à La Réunion en 2017, elle souhaite continuer son engagement et rejoint les équipes de la ressourcerie Léla, puis un tiers lieu, et mène différents projets collaboratifs. Mais la pratique artistique lui manque terriblement, et elle décide de renouer avec le travail de la matière en rejoignant plusieurs résidences d’artistes.
Depuis, en tant que designer et artiste indépendante, elle est sollicitée pour des expositions, des collaborations, des commandes privées, elle développe également ses propres projets.
Sa pratique :
Johanna a un parcours riche, lui permettant de cumuler deux postures complémentaires : celle d’artiste-auteure et celle de designer. L’expérimentation joue un rôle central dans ses créations, car elle aime explorer le potentiel de la matière. En parallèle, elle est toujours à la recherche d’échanges et de collaborations. Elle aime se rapprocher d’artisans et collaborer avec eux pour valoriser les savoir-faire.
« Je trouve ça génial les projets où l’on réunit institution, artiste — qu’il soit designer ou pas — et un.e artisan.e local.e. »
La coloration sociale de sa pratique découle de son parcours universitaire et professionnel, mais est aussi motivée par des expériences vécues ou observées de discrimination raciale et de genre. Sa pratique du design lui permet d’interroger les objets, leur identité et la société plus largement. Johanna aime dire que sa pratique du design est pour elle une histoire de revanche.
« J’étais en stage en scénographie, lors d’un vernissage pour une maison de haute couture, j’avais mon iPad en main pour faire des présentations. Pendant la soirée, une femme a posé son verre dessus. J’ai préféré penser que c’était le design de l’iPad qui avait prêté à confusion. J’ai même écrit mon mémoire là-dessus. Je me suis convaincue qu’il n’avait pas été assez bien dessiné pour qu'il soit reconnaissable... alors qu'en vérité, je sais très bien que parce qu’elle a vu une femme noire, habillée en noir, tenant un objet noir, elle a forcément pensé que j’étais une serveuse. »
Cette expérience douloureuse a amené Johanna à beaucoup questionner son travail et à s’intéresser particulièrement à l’identité des individus et des objets dans ses projets. Aujourd’hui, sur le territoire de La Réunion, ces questions sont au cœur de ses réflexions.
« Si je dois résumer ma pratique, elle est très orientée autour de l’expérimentation, la valorisation d’un savoir-faire et la collaboration. »
Projet :
La canne à sucre :
Dès son arrivée sur l’île de La Réunion, Johanna n’a pas pu échapper à la canne, omniprésente sur l’ensemble du territoire. Symbole de l’histoire funeste de l’esclavage, ce n’est pas par hasard que cette designer passionnée par les questions d’identité en a fait un sujet de recherche de prédilection.
Son travail autour de la canne démarre dans le cadre d’une résidence au Musée de Villèle. Lors de sa résidence, Johanna est frappée par le contraste entre la mise en valeur de la famille Desbassayns, qui a construit sa prospérité grâce à la culture de la canne, et l’invisibilisation des esclaves ayant habité et permis à cette famille de rayonner.
« On arrive presque à avoir des empreintes de doigts de Madame Desbassayns sur les petites cuillères. Tout a été conservé dans l’état, c’est impressionnant, mais tout ce qui est en lien avec les esclaves a disparu ou a été mal conservé. »
L’objet de sa résidence était de valoriser la canne à sucre. Il lui a paru évident qu’elle ne pouvait pas passer à côté de l’histoire associée à la canne. Ainsi, après quelques mois de résidence, elle a imaginé un verre à rhum qui témoigne de cette histoire commune pleine de contrastes. L’objet est composé de deux parties : un verre soufflé et un socle en bagasse (résidu fibreux issu du broyage de la canne à sucre une fois que l’on en a extrait le suc), s’emboîtant pour former les reliefs montagneux de La Réunion.
Ce projet a demandé à Johanna beaucoup de ténacité pour voir le jour. Entre les expérimentations de matières, la conception locale et les enjeux politiques du sujet, elle a dû surmonter beaucoup d’obstacles. Aujourd’hui, les verres sont disponibles à l’achat et ont suscité beaucoup d’enthousiasme. En parallèle, Johanna a exploré la canne dans d’autres réalisations sous de nombreuses formes : la feuille de canne, la fleur de canne pour des luminaires, la cendre de bagasse comme pigment… Elle cherche à valoriser la canne dans son entièreté.
Mama Shingo:
Aujourd’hui, Johanna travaille sur un projet autour de la valorisation de la culture du sel de la mangrove à Mayotte. Ce savoir-faire est exclusivement porté par les femmes, en général âgées, qu’on appelle lesMama Shingo. Aujourd’hui, ce savoir-faire est en danger car il y a une perte d’intérêt chez les nouvelles générations pour ce travail harassant et mal rémunéré.
Suite à un appel à projet sur le patrimoine immatériel de Mayotte, Johanna a démarré un récent projet sur la valorisation du sel produit par les Mama Shingo. Une collaboration très motivante qui tient à cœur à Johanna, qui apprécie particulièrement les projets mettant les femmes à l’honneur.
Pour conclure :
Johanna est une artiste designer à la pratique sensible, politique et sociale. Elle a développé une approche où la collaboration et l’expérimentation servent des projets porteurs de messages.
Johanna aspire à une pratique toujours plus collective. N’hésitez pas à la contacter ou à suivre son travail ici :
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