Juliane Morel

Designer

"Si je pouvais définir mon design en quelques mots je dirais qu’il repose sur des observations et des échanges,
afin comprendre la nécessité d’un projet et sa compatibilité à un lieu, des acteurs et leurs dynamiques"

 

Parcours

Juliane Morel a toujours baigné dans un environnement créatif. Son père, commercial dans la bijouterie, lui transmet tôt sa passion pour le bijoux et c’est d’ailleurs par le design de celui-ci que Juliane entame son parcours professionnel. 

Quant à sa rencontre avec l'engagement, celle-ci se fait en école d’art, à l’ENSAD de Nancy plus précisément. Juliane y réalise toute sa scolarité jusqu’à son double master en partenariat avec l’école des Mines. Ce fût pour elle l’occasion de réfléchir à ce qui lui importait vraiment.
Au fil de ses années d'études, ses projets se tournent de plus en plus vers les questions sociales et plus précisément de genre ; jusqu’à son mémoire de master dans lequel elle choisit d’analyser le lien entre construction de genre et industrie du jouet. Pour son projet de diplôme, Juliane s’intéresse aux outils pédagogiques déployés dans les écoles. Elle voit en effet l’école comme l’endroit idéal pour faire évoluer la question des stéréotypes de genre. Lieu commun à tous les enfants, l’école porte en effet déjà en elle de réduire les inégalités entre les élèves. 




Pour son projet, elle entreprend un long travail de recherche composé de séries photographiques mais aussi d’interviews. Afin d’affiner ses observations, elle se déplace dans des établissements scolaires variés : écoles publiques, écoles Montessori...

Cela confirme son choix de projet de diplôme : il y a un réel besoin. Elle décide alors d’adresser son projet à des enfants de 4 à 6 ans, car selon elle, c’est à cet âge que tout se joue. La difficulté néanmoins est de réussir à leur transmettre des concepts aussi complexes.

Pour cela, elle propose un projet en plusieurs temps. L’enfant est d’abord amené à comprendre par lui-même ce qu’est un stéréotype de genre, puis il est confronté à des contre-exemples et enfin à des métiers auxquels il n’aurait pas eu habituellement accès du fait de son genre.

Son jury de diplôme lui adresse les félicitations et l’encourage fortement à continuer mais Juliane préfère travailler sur des projets plus classiques de bijouterie ou de design produit pour des entreprises. Jusqu’au covid...

Un projet

La pandémie a entraîné pour beaucoup de designers indépendants une importante baisse d’activité. Profitant de l’opportunité, Juliane décide de se re-plonger dans son projet de diplôme. Elle échange, de nouveau avec le corps enseignant afin de comprendre au mieux les moyens de distribution d’outils de ce type dans les écoles (besoins actuels, manques, etc.). Elle constate ainsi que, malgré la volonté des enseignants de traiter un tel sujet et au-delà du manque évident d’outils, il lui faut également accompagner son outil pédagogique d’un guide d’utilisation très détaillé. En effet, le sujet est délicat et les enseignants sont confrontés aux enfants, mais aussi aux parents. L’utilisation d’un tel outil pédagogique peut donc donner suite à des discussions complexes.

Parmi les nombreuses maisons d’édition à laquelle Juliane envoya son projet, c’est avec Hachette Éducation que le projet se mit en place. Cela faisait longtemps qu’ils souhaitaient mettre en place un tel outil mais ils n’avaient pas encore rencontré la personne qui saurait le porter. S’ensuivit de longues discussions afin notamment d’adapter le projet à leur gamme d’outils pédagogiques habituels. Conçu initialement comme une expérience « one shot », il fallut l’adapter en mallette pédagogique, réutilisable en classe tout au long de l’année et dans des classes aux niveaux différents. 

Il fallait ainsi re-concevoir son outil comme une par exemple mais aussi... produire un guide toujours plus détaillé à destination des professeurs ! 

« Au-delà d’être designer, il a donc fallu que je sois un peu autrice » conclut-elle.

Difficultés

L’outil pédagogique est commercialisé depuis la rentrée et Juliane a le sentiment que, si elle souhaite créer un nouveau projet de ce type, cela lui sera plus facile. Elle revient cependant sur les difficultés rencontrées pour allier design et engagement, notamment à sa sortie d’école.


« Ce sont des profils très difficiles à créer » me dit-elle. Les milieux dans lesquels le designer social intervient ne sont pas tous sensibilisés. Il faut leur faire comprendre pourquoi ils auraient besoin d’un designer, qu’est-ce que nous pouvons leur apporter.


Vient ensuite la question de la viabilité du projet : pour un contrat d’auteur par exemple, comme avec Hachette Éducation la rémunération se fait en royalties c’est-à-dire en différé, ce qui représente un “ investissement risqué de son temps et de son travail”. Face à ces problématiques réelles, Juliane a trouvé son équilibre : elle mêle ce projet engagé - long à mettre en place ; rémunéré en différé - avec des projets plus habituels de design produit et bijouterie qui lui permettent de vivre correctement de son travail.


Aux jeunes designers elle conseille : “Osez contacter des gens aux projets similaires. Et pour ce qui est des refus, nombreux dans ce métier, normaliser-le «non».