Lucille Galindo
Designer
"Je suis designer pour mettre à l'honneur les designers. C'est ça mon travail."
Aujourd’hui nous retrouvons Lucille dans un café parisien, lumière tamisée et jazz en fond sonore, pour une interview un peu particulière. Cette fois-ci ce n’est pas un.e designer.e au sens classique du terme que nous avons choisi de mettre à l’honneur mais une designeure dont la mission est de donner de la visibilité aux acteurs du design, et ce dans toute leur pluralité.
Nommée en 2023 dans les Rôles Modèles de Women in design, Lucille Galindo est en effet la directrice de l’APCI, une association de promotion du design. Elle est aussi à l’origine, en 2019 de la création de la France Design Week. Elle revient avec nous sur son parcours…
Ouverture du champs des possibles
Lucille entame ses études supérieures, avec l’idée de devenir décoratrice d’intérieur. Elle suit un parcours en design produit et espace et s’interroge sur le type de design qu’elle souhaite produire. En effet, elle ne se reconnaît pas dans la production d’objets ou d’espaces supplémentaires “dans un monde qui déborde déjà”.
Elle élargit également sa définition du design. Elle explore la variété de ses acteurs, de leurs démarches et de leurs productions, questionnant ainsi sa vision d’un design essentiellement matériel, associé à l’objet, à l’espace, et au beau.
Un mémoire pour mettre de l’ordre
Dans le prolongement de ses interrogations, elle consacre l’écriture de son mémoire à la découverte, la compréhension et la mise en œuvre de ce qu’est le design, en France.
Celui-ci prend la forme d’un dictionnaire, où chaque lettre de l’alphabet est associée à un terme qui définit à ses yeux, le design.
Il est imprimé entièrement sur rhodoïde, les pages non reliées, rendant la lecture longue et compliquée. Les pages, les unes sur les autres, deviennent illisibles, le texte prend une forme unique et noire ; comme un tout qu’il faudrait défaire pour comprendre, analyser et enfin ré-organiser.
Le lecteur partage ainsi la recherche de Lucille, longue et diffuse, des liens sont tissés entre des mots et des idées. L’objet malléable aux pages déliées, invite à poursuivre une recherche encore en cours et surtout bien loin d’être figée.
Repenser la diffusion du design
Pour son projet pratique, Lucille choisit pour thématique : l’exposition comme médium de compréhension et de transmission de ce qu’est le design, tant pour le designer que pour le spectateur.
L’objectif est de sortir le design de sa présentation habituelle. En effet, les expositions autour du design se concentrent généralement sur le design comme objet matériel, et l’expose habituellement à la manière d’une œuvre d’art. L’objet est montré sous sa forme finie ; mis à distance du visiteur, avec un cartel, loin de son environnement d’utilisation, plus trivial et quotidien.
Cette manière d’exposer ne prend en compte, ni la pluralité du design, ni la richesse du travail du designer. Celui-ci englobe, en effet, l’objet fini (quel qu'en soit son médium : graphisme, espace, matière, performance, vidéo, etc) mais aussi l'entièreté de sa démarche (recherche, prototypage, etc).
[Photo de son exposition]
Car au fond, c’est quoi le design ?
Ces travaux ont été l’occasion pour Lucille de questionner la définition même du mot design. Elle définit d’ailleurs aujourd’hui le design comme une démarche ; une démarche de création, de conception, de production mais surtout une démarche basée sur l’expérience et le lien. Cette démarche aboutit à des objets de formes variées : objet, événement, pensée, etc.
Elle n’est pas un métier, une discipline ou une filière, mais le devient, par nécessité d’encadrement (identification, formation).
Le designer, quant à lui, s’apparente à un facilitateur. Travaillant presque toujours en collaboration, il crée le lien entre les différentes parties prenantes.
Une profession actuelle au service de la promotion du design
Après une première expérience en tant que chargée de projet au Lieu du Design (une association de promotion du design créée par la Région Île-de-France qui n'existe plus aujourd'hui), Lucille intègre le Pavillon de l'Arsenal en tant que chargée de communication avant de rejoindre l'APCI en tant que chargée de projet d'abord puis comme directrice.
Aujourd’hui, elle utilise la méthodologie du designer pour concevoir des projets, des événements qui ont pour objectif de mettre en lumière d’autres designers.
Par exemple, en 2019, à la suite des assises du design, elle entame l’organisation de la première France Design Week qui se tiendra un an plus tard, en septembre 2020. L’événement rassemble 250 événements avec pour seul objectif de mettre à l'honneur tous les designs et tous les designers français à l’échelle nationale, et à destination des professionnels du secteur comme du grand public. En 2022, c’était 400 événements organisés par 1 800 contributeurs !
Quelle vision pour le futur du design ?
Grâce à son caractère national l’APCI fait aujourd’hui office de “maison commune” pour grand nombre de designers. Il lui tient d’ailleurs à cœur de soutenir la variété et la richesse des designs en France, et non de les contraindre dans un cadre unifié. Lors de la France Design Week, l’APCI propose d’ailleurs de bénéficier de la communication sans se soumettre à des obligations en termes de représentations/format etc.
Un enjeu cependant pour le futur est la visibilité (par l’organisation) de l’écosystème du design français car aujourd’hui personne ne sait combien de designers exercent en France, ni quelles sont les spécificités de leur exercice.
Il n’y a d’ailleurs aucune identification de la profession, par un code Naf par exemple. Celui-ci permettrait de créer un ordre, comme il en existe pour les avocats et les médecins, afin d’unir la profession tout en conservant sa diversité.
C’est après 2h d’échanges passionnants que nous laissons Lucille. Cependant si vous souhaitez en savoir plus sur son quotidien, ou sur la spécificité de son travail pour l’APCI n’hésitez pas à la suivre sur les réseaux sociaux :