Yannick Aly-beril
Designer de terrain
" Je me vois comme un outil au service d’un territoire et de ces habitants "
Son parcours
Yannick met un premier pas dans le monde du design avec l'obtention d'un bac art appliqué au lycée Rive Gauche de Toulouse. Déjà à cette époque il ne se projette pas dans une vision segmentée du design, au contraire il s’intéresse à tous les champs du design, et même à l’artisanat.
Son parcours post-bac débute par un BTS design d’espace à la Souterraine. Ce choix démontre que sa sensibilité à l’éco responsabilité est déjà présente à l’époque. Yannick décrit son expérience à la Souterraine comme étant très formatrice en design, mais aussi sur la manière d’« habiter ». En effet, c’est la seule école de design en France voir en Europe avec un tel rayonnement à être située en hyper ruralité.
« Ce que j’ai aimé dans le BTS, c’est que dès le départ on apprend que le design d'espace c'est essayer de trouver des réponses qui soient en adéquation avec des milieux très spécifiques. »
Les années d’études à la Souterraine ont été pour lui un moyen de vivre la ruralité comme un espace dans lequel il est possible d’agir. Yannick se voit marqué par la vie étudiante et culturelle sur place.
« Ce qui était dingue là-bas c'est qu’il y avait une proximité à la fois avec les élus, les associations et les habitants ce qui permet d'être acteur. »
A cette époque Yannick développe une pratique exploratoire du design, il construit sa pratique autour de références architecturales des années 80, avec une vision qu’il qualifie d’utopiste. Ce qui l’intéresse c’est de voir comment la création architecturale peut proposer de nouveaux modèles de société au-delà de l’usage. Pendant ce BTS, il fait aussi un stage chez l’architecte « punk » François Roche a Bangkok, une expérience qu’il vit de manière unique, qui l’ouvre vers une toute nouvelle approche de l’architecture expérimentale et innovante. Ce moment de vie, cette rencontre, continue d’infuser dans son parcours même aujourd’hui, notamment sur les enjeux politiques de l’architecture.
« Tu comprends très vite que les l'architecte est poings et mains liés avec les politiques donc tout ça c'est un jeu, tu vois, de finance, de pouvoir politique et d'influence. »
Après son BTS, Yannick part sur le terrain, et devient volontaire dans un tiers lieu de la transition écologique et solidaire à Grasse. C’est une année très enrichissante pour lui. Il en apprendra beaucoup sur toute la logique d'échange, ainsi que la création de valeur. Il met l’accent sur l’importance de sortir du modèle libéral capitaliste.
On peut dire que cette expérience lui a offert un vécu en collectif de manière radicale. D’autant plus qu’il prolongera son service civique d’un “woofing” en pleine période du premier confinement. Il découvrira notamment, d’autres moyens de cohabiter, se loger, faire commerce… Cela s’inscrivant dans des logiques économiques étrangères aux systèmes dominants. L’ouverture sur ces nouveaux modèles l’ont poussé à vouloir reprendre ses études en design. Il est convaincu que le design à un rôle à jouer et décide de retourner se former à la Souterraine.
« Je voulais retourner en ruralité, car pour moi, c’est là-bas que les innovations du monde de demain émergent. »
Ses années de DSAA ont été très exigeantes, mais il est fier du travail qu’il a fourni. L’équipe pédagogique l'a poussé au long de ses deux années de travail à interroger quel designer il voulait devenir, et définir son métier. « Pour qui tu travailles, quelle cause tu sers, où tu vas aller, comment tu fais les choses… »
De ses années d'enseignement, il héritera notamment d’une méthodologie solide, expérimentée durant son mémoire et son projet de diplôme. Yannick fait des allers-retours : terrain/ théorie.
« Selon moi, C’est la meilleure manière de faire de la recherche et c'est ce que je fais encore aujourd'hui c'est à dire faire des aller-retour entre théorie et terrain, théorie et pratique »
Son parcours d’apprenant se clôturera par une année très particulière en résidence pour le programme « design des mondes ruraux ». C’est un dispositif à double enjeux, donnant l’accès à l’expérimentation à des designers. Ils ont touché à la ruralité et la spécificité de ces territoires. Ils ont aussi pu acculturer les politiques publiques locales au design.
Depuis 2023, Yannick est à son compte et développe une démarche de recherche action sur l’île de la Réunion. Il a choisi de retourner à la Réunion, île d’où il est originaire, après s’être posé la question : « Sur quel territoire ai-je envie d’œuvrer ? » Il est fier de s’être installé sur un territoire délaissé où le design peut participer au développement local.
Sa vision du design
Yannick se présente comme un designer de terrain. Il donne du sens à son métier en mettant ses compétences au service de projet sociaux. Pour lui, il est essentiel de désiloter les différent champs du design, voir des pratiques artistiques.
« Selon chaque contexte, la réponse doit être créative, car nous sommes des créatifs, mais la réponse peut être dans tous les champs du design. Le design ne doit plus être enseigné par domaine, mais par grandes thématiques ».
Sa pratique le pousse à mettre la co-construction au cœur de sa démarche. Il se considère comme un « outil » au service des usagers. Estimant que pour tout projet il faut s’entourer d'experts, et que les experts des usages sont les utilisateurs. Il a une vision du design qui laisse pleinement sa place aux usagers ! Autonomiser les acteurs fait aussi partie intégrante de son travail. Il met un point d’honneur à ce que ses projets perdurent après son départ, pour cela il met à disposition l’ensemble de ses productions.
Yannick exprime un regret quant au modèle dominant du design. En effet, selon lui il subsiste encore des logiques en lien avec l’'industrialisation, la gentrification et parfois encore ici à la Réunion, de colonisation. Tout cela créant encore de nombreux freins à la diffusion du design social.
Les projets
L’avenir des gares rurales
Lors de son projet, Yannick a travaillé pendant 1 an auprès des habitants, des élus et des associations locales pour penser collectivement à la réactivation de la gare de Mourioux-Vieilleville en Creuse. Les actions menées ont participé à engager la discussion sur une stratégie de mobilité soutenable et désirable du territoire Creusois. Il a également produit un mémoire intitulé « l’avenir des gares rurales » (disponible sur éditions makes sense). Pour cela il n’a pas hésité à effectuer des résidences chez l’habitant afin de recueillir des données qualitatives et sensibles uniques.
Son projet l’a porté vers la déconstruction d’une méthode, et un nouveau positionnement en tant que designer. Effectivement, à la suite de ce travail, il se place davantage comme un designer de service et un designer des politiques publiques. Yannick est conscient des limites du design d’espace traditionnel lorsqu’il s’agit de répondre à des problématiques sociétales.
Design des mondes ruraux : Optit’bus
Dans le cadre de la résidence « design des mondes ruraux », Yannick et sa partenaire Jessica Brignola, designer elle aussi, ont mené un projet sur la mobilité dans la commune de Nontron. Rapidement le projet s’est poursuivi au travers d’un travail sur un réseau bien établi qui traverse déjà le territoire : Les bus scolaires. Le duo de designer a alors proposé d’optimiser les bus scolaires avec l’hypothèse suivante : « et si les bus scolaires transportaient les salariés du territoire et l'alimentation des cantines ? » Un projet vertueux, qui a dû faire face à des levés de boucliers des élus. Ces derniers s'interrogeaient quant à la réglementation sanitaire ainsi que la réglementation autour des mineurs. Mais l’ingéniosité et la force de persuasion des deux designers se sont concrétisés par une expérimentation en conditions réelles. Pendant 1 semaine, des salariés ont utilisé les bus scolaires. Les légumes d’une cantine ont été transportés par ce même bus. Cette expérience a mené à la prise de conscience des freins et des leviers pour mettre en place de manière pérenne le dispositif.
Ils ont eu l’opportunité d’être financés, pendant 6 mois supplémentaires, par le programme Tech4mobility de la SNCF. Leurs objectifs à la fin de ces 6 mois étaient de livrer un dispositif opérationnel. Malheureusement, au vu du temps politique et des contraintes administratives, ils se sont effectivement confrontés à des freins politiques monstrueux, les invitant alors à questionner davantage le silotage politique en lui-même.
« On s’est rendu compte que tu peux être designer et proposer des choses, mais s’il n’y a pas une réforme politique, c’est compliqué. »
Cette expérience améliore la compréhension de Yannick concernant le mille feuilles administratif politiques, pour savoir comment cela s’organise et où sont les moyens. Le designer invite aussi les autres designers à “pirater” les instances politiques, car “ c’est là que les décisions de prennent”. Par exemple, les conseils communaux sont ouverts au public et sont d’excellents lieux d’action. Jessica et Yannick ont pu documenter et rendre accessible leurs recherches, l’ensemble de leurs productions sont disponible ici
« Pour moi il faut vraiment pirater ces instances, car c’est là que les décisions se prennent et pourtant nous ne sommes pas attendus en tant que designer »
“BATKARE” : L’enquête
Est une recherche autofinancée, autour de la mobilité sur l’île de la Réunion. Cela se matérialise par une série de reportages improvisés. Dans ce projet, la mobilité est un moyen, il se sert notamment de l’autostop comme d’un outil sociologique. Toujours prêt à sortir sa mini caméra, Yannick interroge les automobilistes sur leurs besoins et usages le temps d’un trajet.
« La voiture est une extension de l’espace privé, quand quelqu’un te fait rentrer dans sa voiture c’est comme s’il te laissait rentrer dans sa chambre… Du coup, les discussions que tu auras seront profondes. C’est génial pour relever les besoins et poser des questions sur la mobilité. »
En parallèle, il utilise beaucoup le vélo, c’est un moyen pour lui d’éprouver le territoire et ces reliefs. Les paysages sont toujours associés à la culture d’un territoire. Le paysage fait partie intégrante de ses études sociologiques.
Yannick explique que la randonnée incite quant à elle à découvrir les territoires les plus isolés. Et de rencontrer encore une autre tranche de la population.
Il s’entoure pour le projet, d’experts tel que des sociologues ou des historiens.
Depuis le début de ses recherches, Yannick explore bien au-delà du champ de la mobilité, il se confronte à de grands sujets sociétaux de la Réunion, tels que : la gentrification, les continuums coloniaux, la culture panafricaine rasta, la culture matriarcale …
Pour conclure
Yannick est un designer engagé, curieux et passionné par les citoyens et leurs territoires. Il prône une démarche de co-construction avec les habitants et les politiques. Designer de terrains, il accorde une grande importance aux immersions, « habiter » les lieux et les territoires d’un projet. C’est une étape indispensable dans sa méthodologie.
Aujourd’hui installé depuis peu sur un nouveau territoire avec pleins de potentialités, n’hésitez pas à suivre son travail sur son site web et ses réseaux :
https://www.yannickalyberil.com/
Instagrame : yaya.alyberil